La pauvreté, c’est dur à vendre

Article de La Tribune par Dominic Tardif

(Sherbrooke) CHRONIQUE / Un bon parent se doit parfois d'être un parent fatigant. Explications.

« Moi, avec mes enfants, si ça ne va pas bien à l'école, j'appelle le prof, j'appelle la direction, j'appelle tout le monde. Je suis, oui, fatigant », blague, à moitié, Christian Vachon, créateur de la fondation portant son nom, ayant pour mission de tout mettre en oeuvre afin que l'école soit le moins possible un calvaire pour ceux qui, autrement, arriveraient en classe chaussés de souliers troués.

« Les parents qu'on soutient, eux, ne sont pas assez fatigants. Ils sont souvent désorganisés, ils se battent au quotidien sur plein de fronts, mais ils se découragent devant les formulaires. Ils n'ont pas assez confiance en eux pour revendiquer un service auxquels ils ont droit. Alors il faut les accompagner. Je dis ça, mais parfois, tsé, le problème, c'est aussi qu'il n'y en a juste pas de service. »

En vue de la rentrée scolaire, 350 enfants se rendaient fin août dans un magasin avec leurs parents, choisir les vêtements qu'ils porteraient torses bombés en montant dans l'autobus, le sac à dos plein de crayons et de gommes à effacer. C'est ce que fait la Fondation Christian Vachon depuis une décennie : acheter des effets scolaires et des vêtements, payer des repas, inscrire des jeunes à des activités, accompagner leurs parents vers des ressources d'aide.

Autrement dit : bâtir des remparts sur le chemin sinueux, bordé de vertigineux précipices, qu'est l'école pour ceux qui sont nés dans le mauvais quartier, ou qui n'ont pas un talent particulier pour l'apprentissage au sens très traditionnel du terme. Je parle de ceux pour qui le ballon sur lequel ils pourront allés se défouler quand la cloche sonnera est aussi une bouée de sauvetage.

« On veut que tout le monde parte sur la même ligne de départ, que les jeunes défavorisés passent incognito », explique Christian au sujet des tours de magie qu'accomplit son équipe, complètement à l'insu des enfants. Il y a quelque part une petite Océanne qui est sortie d'un Tigre Géant ou d'une Biblairie GGC sans savoir que sa mère avait, à la fin de l'année scolaire précédente, soumis une demande à la Fondation.

Parce qu'il n'y a pas que les cubes

Le 23 septembre 2006, Christian Vachon courait les 104 kilomètres de rives longeant le lac Memphrémagog, afin d'amasser des fonds pour l'école Sainte-Marguerite, son école primaire. L'ambitieux exploit jettera les bases du Relais du lac Memphrémagog, événement phare de la Fondation, qui tiendra le 24 septembre prochain sa dixième édition. L'enviable auréole de surhumain qui nimbe le père de deux enfants ne lui aura pourtant pas toujours permis de chasser les stigmates qui collent à sa cause.

« C'est super, les organismes qui marchent depuis quelques années, et qui font la promotion des saines habitudes de vie ou de l'activité physique, mais on ne se fera pas de cachette, il y en a pour qui l'accessibilité aux saines habitudes de vie, ça n'existe pas, regrette-t-il. Il faut s'assurer que nos jeunes mangent, qu'ils ont des crayons et, après, ils vont peut-être être prêts à écouter le message des cubes. Je ne dis pas ça méchamment et je ne veux pas lancer de flèches à qui que ce soit, mais il ne faut pas oublier les pauvres. La pauvreté, c'est dur à vendre. J'ai plein de donateurs qui me disent : « Christian, je vais t'aider, mais je ne veux pas que ça se sache. »

Lui a moins souffert de la pauvreté que d'une école mal adaptée à ses problèmes de comportement, sur lesquels on apposerait sans doute aujourd'hui les lettres TDAH. En aboutissant dans une classe spécialisée dès la troisième année, Christian connaîtra la marginalisation et les quolibets, mais se liera aussi d'amitié avec tous les « pas pareils » de l'école. Ceux qu'on appelait très mesquinement les DML quand j'étais petit, c'était ta gang? « C'était mes buddies, oui », répond-il très fièrement. La Fondation, c'est évidemment un peu en leur honneur.

Pas de journée de congé

Je demande à Christian Vachon quel petit miracle il raconte à ses amis, lorsque vient le temps de vanter les mérites de sa fondation. Long silence. Je vois des milliers de visages traverser ses yeux bleus clairs.

« J'ai l'air bon et courageux là, mais moi, je ne suis pas capable d'appeler les familles. Ça arrive, mais c'est rare. Si je faisais des appels au quotidien, je ne serais plus là, ça me rentre trop dedans. Ça me met trop en colère. »

Sans nier que la popularité d'une fondation comme la sienne symbolise tristement la faillite d'un certain modèle québécois, l'ambulancier et pompier de 40 ans refuse de blâmer le gouvernement, un réflexe trop répandu, pense-t-il, même s'il ne se fait pas prier pour dire qu'il faudrait « injecter au moins le double de ce qu'on a coupé dans les services spécialisés. »

Mais réduire le message de Christian Vachon à un désir de réformes serait passer à côté de l'essentiel. Aux dévots du travail triomphant de tout et du cash qui pleuvra sur vous pour peu que vous le souhaitiez assez fort, Christian Vachon rappelle que les souliers troués de l'enfance se transforment la plupart du temps en boulets éternels.

« Toi, je suis sûr que tu ressembles à ton père et à ta mère, et qu'il y a sûrement certains de leurs défauts dont tu aurais préféré ne pas hériter. Ben imagine si ton père avait été alcoolique, ou si ta mère avait eu un problème de drogue. J'ai vendu toute ma vie la persévérance et parfois, je me trouve face aux limites de mes propres valeurs. Je me souviens d'un gars chez qui on avait été appelé avec l'ambulance, un gars de mon âge qui me disait carrément qu'il voulait mourir. En regardant sa vie, son milieu, ce qui s'en venait pour lui, je me demandais si moi-même, à sa place, je serais encore en vie. On oublie que lorsqu'on est pauvre, tout est compliqué, tout est dur, tout est tout le temps rough. T'as pas de journée de congé. »

Le sais-tu, toi, Christian, pourquoi on a si peur des pauvres? « C'est une grosse question ça. J'imagine qu'il y a toutes sortes de préjugés, mais je pense que les gens ont peur des pauvres, parce qu'ils ont peur de se prendre au jeu. Ils ont peut-être peur de réaliser qu'ils ne sont pas si différents que ça d'eux. »